Antonio Gramsci — Syndicats et conseils

Les syndicats professionnels, les Bourses du travail, les Fédérations de l’industrie, la Confédération générale du travail, représentent le type d’organisation prolétarienne spécifique de la période de l’histoire dominée par le capital. En un certain sens, on peut soutenir que de telles organisations font partie intégrante de la société capitaliste et sont une fonction inhérente au régime de la propriété privée. Dans la période actuelle, où les individus n’ont de valeur que dans la mesure où ils sont propriétaires de marchandises et font commerce de leur propriété, les ouvriers ont dû, eux aussi, se plier à la loi de fer de la nécessité générale, et ils sont devenus vendeurs de leur unique propriété : leur force de travail et leur intelligence professionnelle. Plus exposés aux risques de la concurrence, les ouvriers ont accumulé leur propriété dans des « firmes» toujours plus vastes et, en employant un personnel toujours plus nombreux, ils ont créé cet énorme appareil de concentration de chair à effort, ils ont imposé des prix et des horaires, et ils ont discipliné le marché. Ils ont engagé à l’extérieur ou ont tiré de leurs rangs un personnel administratif de confiance, versé dans ce genre de spéculations, en mesure de dominer les conditions du marché, capable de stipuler des contrats, évaluer des aléas commerciaux, de lancer des opérations économiquement rentables. La nature essentielle du syndicat est concurrentielle, elle n’est pas communiste. Le syndicat ne peut être un instrument de rénovation radicale de la société : il peut offrir au prolétariat une bureaucratie expérimentée, des techniciens experts en questions industrielles de portée générale, il ne saurait être la base du pouvoir prolétarien. Il n’offre aucune possibilité de choisir des individualités prolétariennes capables de diriger la société et dignes de le faire. Les hiérarchies en mesure d’incarner l’élan vital, le rythme de progrès de la société communiste, ne peuvent venir de lui.
Antonio Gramsci – Syndicats et conseils – 11 octobre 1919