Revue Espérance n° 1 : Le spécisme au sein de la religion
Le spécisme au sein des religions pousse les croyants de toutes sortes à manger de la viande. Depuis l’Antiquité, la croyance aux différentes superstitions et aux mythologies a poussé de nombreux êtres humains à sacrifier des animaux en faveur de leurs multiples divinités afin qu’elles les protègent de nombreux châtiments. La crainte de ces dernières et de la terreur qu’elles faisaient régner dans les esprits s’est concrétisée par la mise en œuvre d’un véritable holocauste.
Les Romains et les Grecs sont volontiers vantés pour avoir fondé la démocratie. En période de crise structurelle du capitalisme, de nombreux citoyens ont tendance à idéaliser les bénéfices de ces sociétés. Ces grandes civilisations, fréquemment citées en exemple, n’avaient pourtant que faire des hommes — souvent esclaves — et des animaux qui y vivaient. Il est vrai qu’elles ont marqué l’histoire. Le français, une des multiples langues latines, en découle tout comme le droit romain qui a largement inspiré nos juristes pendant plusieurs siècles. Toutefois, on reconnaît la valeur d’une civilisation à la manière dont elle traite les êtres vivants. Quant aux animaux, ils y ont été abondamment sacrifiés sous le prétexte de nombreux rites religieux. D’autres sociétés, à l’instar de l’Égypte des pharaons, pratiquaient aussi le rituel sacrificiel. Les Aztèques — passés rois en matière de sacrifices — auraient pu, sans conteste, obtenir la palme d’or de la plus monstrueuse oblation : ils arrachaient le cœur des suppliciés alors qu’ils étaient vivants ! Sacrifice animal et sacrifice humain sont donc intimement liés.
De nos jours, on pourrait croire que tout cela n’est plus que de vieux souvenirs. La civilisation semble avoir évolué, ces temps barbares nous apparaissent presque irréels. Dans une société censée être bien plus éthique, on est en droit d’attendre une prise en charge exemplaire du droit de nos alter ego, les autres animaux. Il s’avère que cela n’est pas le cas et que tout ce qu’on glisse derrière la locution « bien-être » n’est que pure propagande. En France aujourd’hui, les traditions spirituelles se perpétuent à travers les principales religions abrahamiques monothéistes comme le judaïsme, le christianisme et l’islam. Les sacrifices y perdurent que les abattages soient conventionnels ou dérogatoires comme ceux casher et halal. Selon l’Ancien Testament, Dieu aurait ordonné à Abraham l’holocauste de son fils Isaac afin de témoigner de sa foi. Au dernier moment, juste avant la perpétration de son geste criminel, Abraham aperçoit un ange envoyé par Dieu qui le somme d’épargner son enfant. À la place, il immolera un bélier malchanceux qui passait par là. Le mythe du sacrifice d’Isaac était né. Forts de cette tradition légitimée par la religion, chaque année des hommes célèbrent cet événement en égorgeant des millions d’animaux.
La signification du terme holocauste a évolué à travers les âges, notamment au moment de la Seconde Guerre mondiale et les études qui s’en sont ensuivies. Depuis la Shoah et les travaux de l’United States Holocaust Memorial Museum, holocauste a acquis un sens beaucoup plus réducteur et essentiellement réservé aux êtres humains. Pourtant, originellement, il s’agissait bien du sacrifice d’un animal en vertu d’une pratique religieuse. On aurait pu penser qu’avec la multiplication des génocides dans le monde que ce soient les Arméniens, les juifs, les Tziganes, les Tutsis ou encore dernièrement les yézidis sous Daesh, la sensibilité pour l’être vivant aurait crû. Eh bien, non ! Les exterminations en série et le massacre des animaux perdurent sans que quiconque cille. Les êtres humains restent indifférents à la souffrance et aux égorgements devenus routiniers des milliards d’animaux abattus chaque jour, ces sacrifices étant légitimés par des textes religieux d’un autre temps.
À la Pessa’h (Pâque juive), le korban pessa’h représente le sacrifice rituel d’un agneau âgé d’un an trouvant sa justification dans « le sang, dont seront teintes les maisons où vous habitez, vous servira de signe : je reconnaîtrai ce sang et je passerai au-dessus de vous ; le fléau n’aura pas prise sur vous lorsque je sévirai sur le pays d’Égypte » (Exode 12:1-13). Pourtant, aux origines, les juifs étaient végétariens avant le déluge comme le démontre « L’Éternel dit : “Voici, je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d’arbre et portant de la semence : ce sera votre nourriture.” ». (Genèse 1, 29). Certaines personnes refusent donc les sacrifices en s’appuyant sur les textes des prémices. C’est ainsi que se développent de nombreux courants végétariens au sein du judaïsme. En Israël, les végétariens représentent près de 8 % de la population. Le gouvernement use d’ailleurs de cet argument pour favoriser la visite de certains kibboutz.
Durant les fêtes musulmanes, notamment celle de l’Aïd el-Kebir, la « fête » se traduit par l’égorgement d’un mouton par famille selon les différents rites. De nombreux animaux sont acheminés par bateaux, en particulier depuis l’Australie, vers certains pays comme l’Arabie saoudite. Des fleuves de sang coulent tous les ans. En France, chaque année de nouveaux abattoirs clandestins sont découverts et dénoncés. Toutefois, un courant végétarien a vu le jour au sein de l’islam. L’association Islamic Concern for Animals puise sa source dans les textes religieux : « Il n’est nulle bête sur la terre ni oiseau volant de ses ailes qui ne forment des communautés semblables à vous » (Coran, 6, 38). Elle est soutenue par l’association PETA.
Il existe aussi, au sein de la « cause animale », des mouvements dits welfaristes qui remettent en cause les abattages rituels an nom du « bien-être » animal. L’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) en est un exemple. Depuis ses débuts, elle mène une guerre sans relâche à l’égorgement sans étourdissement. Récemment, l’association a remporté une petite victoire devant la Cour de justice de l’Union européenne : désormais les bêtes abattues rituellement ne pourront plus être estampillées bio. De nombreux d’entre eux le font non pas pour les animaux afin de diminuer les souffrances, mais dans un cadre typiquement raciste. Le casher et le halal cristallisent la population. Concernant, le halal, il faut rappeler qu’il s’agit d’un marché agroalimentaire très important qui découle de la convergence entre le néolibéralisme et l’islamisme. Le halal, né dans les années 1970, dégage chaque année des milliards de chiffre d’affaires. Enfin, l’OABA est un courant plutôt conservateur puisque l’animal, qu’elle que soit la manière utilisée — conventionnelle ou halal —, sera abattu. Cette association ne souhaite pas mettre fin au spécisme, mais plutôt nous inciter à réduire notre consommation de viande tout en ayant plus de respect pour l’animal de son vivant. Les moyens justifiant ici la fin, tant que l’animal est étourdi ou assommé tout va bien.
À Pâques, les chrétiens se retrouvent en famille au cours de repas ou le gigot d’agneau prend tout son sens… biblique. Dans le Nouveau Testament, une phrase attire notre attention : « voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29). La fête de Pâques célèbre la résurrection de Jésus, tandis que l’agneau pascal (ou Agnus Dei, l’Agneau de Dieu) représente le Christ sacrifié. L’étourdissement de l’animal au moment de son abattage légitime la coutume en rendant le geste « respectueux ». La bête souffrant moins, où est donc le problème ? Normes observées ou pas, il est bien question d’un sacrifice religieux dont plus personne n’a conscience, car ancré dans les mœurs. L’espérance de vie réelle d’un ovin est de 10 à 12 ans, certains pouvant vivre jusqu’à 20 ans. À chaque fois, c’est la vie d’un bébé animal affolé, apeuré, malmené et qui lutte pour vivre qui est arrachée. Certains chrétiens qu’ils soient catholiques ou protestants affirment cependant que les premiers chrétiens étaient végétariens. Il existe d’ailleurs un débat au sein de la communauté à ce sujet.
Comment peut-on croire à la rationalité des croyances quand ces dernières incitent majoritairement aux meurtres des animaux ? Comment un être suprême peut-il cautionner la mort et la souffrance d’un individu ? Et que penser de l’athéisme qui prône une pensée rationnelle basée sur un processus de raisonnement croyant au matérialisme ? Pourtant malgré leur faculté d’analyse didactique, maints athées ne souhaitent pas changer leur modèle alimentaire. Tout comme les nombreux croyants, ils sont responsables, complices même, des massacres de masse éternellement répétés qui se déroulent dans les abattoirs, loin des yeux de tous. Toutefois, les athées non collaborationnistes et les antispécistes ne doivent pas baisser les bras. Ils sont la voie, les guides vers un nouveau monde plus humain. La société va peu à peu — trop lentement pour tous les animaux qui souffrent et meurent chaque jour — s’y accoutumer. Les progrès que l’antispécisme apportera ne vont pas sans rappeler le siècle des Lumières. L’humanisme doit céder la place à l’animalisme. Nous devons pousser les portes d’une nouvelle civilisation plus égalitaire à l’égard de tous. Après l’égalité entre les êtres humains, il nous reste à construire celle entre tous les êtres vivants.