Entretien avec le Collectif Abolition Porno Prostitution à la suite de sa performance lors du concours Miss Pays-Basque
Révolution et Libertés a interviewé Johanna Vrillaud du Collectif Abolition Porno Prostitution à la suite de sa performance lors du concours de Miss Pays-Basque. Il s’agit de mieux comprendre les raisons de son action, mais aussi de développer le féminisme radical.
Pierre Le Bec : Que vous inspire des concours tels que ceux de Miss France et des Miss Locales ?
CAPP : Les concours de miss sont des outils de propagande patriarcaux ayant pour but de soumettre les femmes à la chosification, l’objectification, la pornification et la dénaturalisation de leur corps. C’est la propagande de l’infantilisation du corps et de l’attitude des femmes, considérant que seule la jeunesse est beauté, seule la minceur est beauté et seuls les corps imberbes, à la peau de bébé peuvent être beauté. Les concours de miss c’est apprendre aux filles et aux femmes que la mise en valeur de leur corps et que la capacité érectile qu’elle procure est plus importante et plus valorisante que leurs capacités intellectuelles, leur virtuosité ou leur personnalité. Les concours de miss, c’est mettre en avant non pas une être humaine unique et curieuse, c’est mettre en avant un objet numéroté, qu’on déguise et qu’on rend appétissant aux yeux des hommes. Les concours de miss ne sont pas de simples cérémonies anodines, chosifier les femmes TUE. Participer à la culture de la chosification à un impact sur la vie des femmes. En France, depuis le début de l’année 2019, 20 femmes sont mortes tuées par leur conjoint ou ex. Sans compter celles qu’on a poussées au suicide, celles qu’on a désenfantées et qui se sont donné la mort, etc. Les concours de miss participent au féminicide, car ils participent à l’éducation des hommes à penser que les femmes sont LEURS objets.
PLB : Quelle a été votre motivation pour faire irruption sur la scène et continuer l’action en dehors de l’établissement face à une foule largement en faveur de la « chosification de la femme » ?
CAPP : Notre motivation première, c’est nos souffrances et notre colère face à ce sexisme trop répandu et trop banalisé encore, malgré Metoo et les nouveaux mouvements féministes. Ces concours mettent en avant une «beauté » qui ne représente qu’1 % de la population mondiale, imposant aux autres femmes de s’y contraindre pour ne pas être rejetées. Aujourd’hui, il est temps de porter la voix des 99 % de femmes qui ne rentrent pas dans ces stéréotypes et ces cases imposées par le patriarcat. Aujourd’hui, par des études et des statistiques, nous réalisons l’impact gravissime de ces codes sur les filles et les femmes, banalisant cette pornification du corps des femmes. Cette banalisation est si violente qu’on nous impose des femmes nues à chaque publicité, sans que personne n’y voit cette violence, car le patriarcat a réussi à nous faire ingérer notre propre soumission, utilisant l’argument du choix et du consentement, pourtant inexistant dans un rapport de domination. Après avoir été expulsées, nous avons remarqué que c’était l’entracte et nous avions les vigiles derrière nous, mais avons décidé quand même de réciter le texte que nous avions préparé. Qu’importe le nombre de personnes qui sont pour la violence, le nombre d’aliénés n’est pas une excuse à la soumission et à la banalisation de la violence et de la haine envers les femmes. La démocratie n’est pas une histoire de mathématiques, c’est une histoire de valeurs.
PLB : Comment as-tu fait pour réussir à monter sur la scène avec un mégaphone en passant au travers de la sécurité des vigiles ? Quels étaient les slogans que tu voulais prononcer puisque tu n’as pas eu le temps de dire un mot au cours de la performance ?
CAPP : J’avais le mégaphone dans mon sac à main. Nous nous sommes installées à nos places totalement normalement et avons attendu patiemment le moment opportun, en devant supporter une bonne partie de cette cérémonie de la honte. Nous avons descendu les escaliers et sommes montées très facilement sur scène, chanson dans la mégaphone. Jamais il n’y avait eu une action telle que celle-ci auparavant, nous avons utilisé la sidération des gens et la musique pour atterrir sur scène et perturber la cérémonie. Nous voulions nous faire passer pour des hommes, barbe et moustache en main, et réciter un texte dans lequel nous nous moquions de ce genre de concours, nous moquant de ces hommes aux goûts pédophiles qui désignent la chair la plus bonne à fourrer et à manger, le comparant aux mêmes absurdités spécistes de concours de vaches numérotées, de juments numérotées, car dans ce monde ce sont les femelles qui sont les individus les plus exploités.
PLB : Sur scène une affiche a été montrée par une de tes camarades, on n’a pas pu la voir avec les différentes vidéos qui circulent sur Internet. Quel était le message de cette dernière ?
CAPP : Sur le devant il était écrit « Ongi Etorri (bienvenue) à miss objet sexuel pour homme » et de l’autre côté un détournement de l’affiche de Miss Côte basque en « Miss femelle pays basque 2020 », dont on comprend le sens en voyant le texte de l’action.
PLB : Comment as-tu perçu la violente attaque des vigiles, notamment le plaquage au sol digne d’un rugbyman ? Portes-tu des blessures et des séquelles psychologiques ?
CAPP : C’était complètement disproportionné. J’y vois un homme violent, qui a le goût de la haine des femmes, car pour voir en une femme de 1,60 m et 44 kg, un danger qui mérite de se faire expulser de la sorte, c’est de la virilité toxique, un homme touché dans son ego se sentant émasculé par deux femmes qui ne veulent plus se soumettre. Soit tu te tais et tu te soumets, soit tu te révoltes de façon pacifique (il n’y a eu aucun geste violent venant de nous) et tu mérites la violence. J’ai un énorme bleu sur le poignet qui est sensible, des éraflures au coude, j’ai eu le souffle coupé et j’étais étourdie, ils ont dû me traîner à deux, car même complètement étourdie je ne me laissais pas faire, et en me traînant ils tiraient sur mon pull me déshabillant et exposant ma poitrine à la vue de tou.te·s. La culture du rugby de cette région est une toxicité et un danger pour les femmes qui veulent se libérer de leurs chaînes. C’est la mise en scène de la loi du plus fort.
PLB : La presse parle d’une action féministe à juste titre, mais est-ce une action individuelle ou une action revendiquée par un collectif féministe ?
CAPP : C’est une action organisée par notre collectif Abolition Porno Prostitution. C’est une action Radfem, une action anti pornification, anti chosification, anti objectification du corps de TOUTES les femmes.
PLB : Est-ce que tu prépares d’autres actions de ce genre contre le « sexclavagisme » ?
CAPP : Oui, nous nous révolterons jusqu’à la destruction du patriarcat. Et nous avons déjà des messages de jeunes féministes prêtes à rejoindre la lutte et le collectif.
PLB : Est-ce que tu penses écrire des brochures sur la « chosification de la femme » dans son ensemble afin que les mouvements radicaux féministes puissent s’inspirer du type d’actions que tu fais ?
CAPP : Des écrits il y en a plein. Nous sommes avant tout activistes, car dans le féminisme c’est l’action qui manque, pas la pensée. Le partage de pensées et la littérature sont déjà très répandus sur les réseaux, blogs, etc. Aujourd’hui, nous mettons en avant la pratique.
« Ongi Etorri deneri ! Eta milesker hain gogorki atxikitzea tradizio sexista haiek ! »
Bienvenue à Miss Objet Sexuel pour homme édition Pays Basque 2019 ! #MOSH. Bienvenue dans la cérémonie où les 99 % des femmes, la diversité, s’invite sur scène avec les 1 % stéréotypées pour dire que nous sommes TOUTES BELLES. Enchantées ! Nous sommes les maîtresses de Cérémonie.
Tout d’abord, félicitations aux candidates d’être arrivées à ce stade de la compétition, non pas grâce à leur grande capacité intellectuelle, leur curiosité, leur virtuosité, ou leur personnalité, mais grâce au jugement et à la capacité érectile masculine qu’elles procurent. Merci à elles d’accepter de se soumettre aux jugements sur leur physique, telles des marchandises, des objets soumis aux regards pornifiants des hommes pédophiles qui aiment la chair fraîche et les peaux de bébé imberbes. Miam miam !
Bienvenue aussi aux jurés dans notre cher Pays basque, si folklorique ! Où vache et femme, cochonne et femme, jument et femme, peuvent concourir à qui sera le corps le plus chosifié, la plus belle marchandise ! Qui sera l’objet le plus présentable ! Qui sera la femelle la plus bonne à fourrer ! Les unes conditionnées au sexclavagisme pensant être libres de rabaisser toutes les femmes à être des vagins sur pattes, les autres enchaînées à être du bétail de concours. Quelle belle région !
Et ce sera à VOUS de décider !
Nous proposons même dans un futur proche de faire un concours de Miss Femelle Pays basque où toutes les animaux femelles de la région pourront concourir ensemble à LURRAMA, ça pourrait être super chouette !
Merci aussi à toutes les femmes et hommes, coiffeur·euse·s, maquilleur·euse·s, habilleur·euse·s, organisateur·rice·s, financeur·euse·s de perpétuer cet hommage aux femmes objets, à la féminité comme jeunesse, maigreur et sourire forcé, pour le plaisir des hommes à voir des femmes soumises à leurs stupides, arbitraires et contradictoires critères.
Les concours de miss sont une des plus grandes institutions garantes du pouvoir patriarcal, et j’aimerais qu’on applaudisse tous les efforts faits par les bitards pour garder leur pouvoir oppresseur !
Chosifier les femmes TUE. Aujourd’hui, en France, nous en sommes à 20 femmes tuées depuis le début de l’année 2019 par leur compagnon ou ex compagnon qui, éduqués à penser que nous sommes des choses à leur disposition, décident aussi de nous ôter la vie ! Et vous êtes, ce soir, tou·te·s complices de ce terrorisme patriarcal !