La Catalogne : le chauvinisme sous forme d’émancipation ?

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Le Parlement Espagnol vient de mettre sous tutelle le Parlement Catalan, destituant in fine l’ensemble du gouvernement Catalan. Une décision prise le 27 octobre 2017 dans le Sénat situé à Madrid. Mariano Rajoy a décidé d’utiliser la stratégie de la tension en assurant que « l’Etat de droit va restaurer la légalité ». Cette vision pousse néanmoins le chauvinisme espagnol ou catalan, mais aussi incite à l’émancipation de ce qu’il reste d’un état mis en œuvre par Franco.

Le contexte historique influence largement les décisions de Madrid et de Barcelone

L’Espagne reste une monarchie parlementaire dans la théorie. Mais certaines prérogatives sont restées au roi comme la possibilité de dissoudre le Sénat, à savoir la chambre haute. Dans le régime bicaméral, le Sénat représente les différentes communautés autonomes. Dans sa critique, le Sénat est vu comme les restes de la monarchie absolue. En effet, cette dernière a été mise en place sous la reine Marie-Christine en 1834. Les différents droits dans le cadre du dualisme législatif ont largement été baissés en faveur du Congrès, donnant une moindre importance à la chambre haute. Tant que le régime ne se transformera pas en un état fédéral où les communautés autonomes ne seront pas des fédérations autonomes (avec les régimes et les différents types de pouvoir choisissant eux-mêmes leurs propres modes de fonctionnement), la critique du bicamérisme s’exécutant vers un monocamérisme se retrouvera renforcé.

Le PP (Parti Popular) de Mariano Rajoy témoigne de cette ligne traditionnelle héritée du franquisme. Le patriotisme du premier ministre va de paire avec un nationalisme exacerbé où l’intérêt de la nation semble primer sur l’intérêt des individus. Une majorité de l’extrême-droite espagnole, tout comme les différents cercles s’associent à la vision du premier ministre actuel [[Llamanzares, Iván, Luis Ramiro, et Frédéric Saumade. « Les espaces politiques restreints de la droite radicale espagnole. Une analyse des facteurs politiques de la faiblesse de la nouvelle droite en Espagne », Pôle Sud, vol. 25, no. 2, 2006, pp. 137-152. ]]. La Droite espagnole se comporte essentiellement comme une droite radicale capable de réaliser une convergence idéologique entre les mouvements extrémistes et les mouvements réformistes.



Dans le contexte historique de la Catalogne, on constate que celle-ci a toujours affirmé une volonté d’une autonomie la plus large par rapport à Madrid, voir à la volonté d’une proclamation d’un état. Dès le 17 janvier 1641, les bases d’une République apparaissent comme une utopie en opposition au pouvoir monarchiste de Madrid. Cette dernière prendra forme d’un projet plus large le 14 avril 1931 [[Fernández-Recatalà, Denis. « Une république juste, juste une république », Nouvelles FondationS, vol. 5, no. 1, 2007, pp. 150-155.]] avec la mise en place d’une République qui influencera largement la mise en place de la Seconde République Espagnole. Cette opposition entre la République et la monarchie devient fondamentale, puisque ce sont deux modèles différents, dont les fonctionnements mettent en évidence une certaine modernité pour l’aspect d’une République, et la fin de la monarchie parlementaire.

La loi qui découla de ses travaux, dite « de la Mémoire historique » (décembre 2007) [[Michonneau Stéphane. « L’Espagne entre deux transitions ? De la mémoire de la guerre civile à celle de l’après-guerre (1975-2007) », Histoire@Politique, vol. 29, no. 2, 2016, pp. 60-72]] met en place une seconde transition en tentant d’épurer l’espace public des symboles franquistes. Aujourd’hui, il existe plus de 285 associations de victimes de la dictature et de la guerre civile espagnole.



Dans le même temps, la désignation par Franco de son successeur : le roi Juan Carlos 1er soulève des questions quant aux choix du régime par les espagnols eux-mêmes. Ils n’ont eu le pouvoir de décider (dans le cadre de la transition démocratique de choisir) entre la République ou la Monarchie. Cela s’explique par le fait que ce sont les franquistes à la tête du pouvoir qui ont mené cette transition. Les espagnols se sont vus imposer une monarchie par le dictateur et ses fidèles. Par un effet de miroir, la famille monarchiste à la tête du pays avec le roi actuel Felipe VI représente d’une certaine manière les dernières marques du franquisme au sommet de l’état espagnol. Le rejet de la monarchie d’une partie des espagnols s’inscrit dans la matérialisation du franquisme que revêt la famille royale. En conséquence, la République comme choix de nombreux partisans dynamise un espoir important pour fermer définitivement le dualisme «Franquisme-Monarchisme».

Un référendum sous le signe de la violence

La Guardia Civil est une police militaire créée entre 1844 et 1845 sous la monarchie espagnole. Elle s’oppose à la «Guardia Nacional Republicana» de la Seconde République Espagnole. La terreur blanche de cette police militaire de 1940 jusqu’en 1975 interroge sur la démocratisation de l’Espagne entamé en 1976, tant sur ses méthodes, sa violence, ou son dogme sécuritaire. Ils ont marqué un ensemble de la société espagnole [[Ricard Vinyes, « L’univers carcéral sous le franquisme », Cultures & Conflits [En ligne], 55 | automne 2004, mis en ligne le 08 janvier 2010, consulté le 31 octobre 2017. URL : http://conflits.revues.org/1568]].

Dans le cadre de «la stratégie de la tension» [[ Aguilar Fernandez Paloma, «L’héritage du passé dans la transition espagnole» [En ligne], Matériaux pour l’histoire de notre temps, n°70, 2003, consulté le 31 octobre 2017. URL : http://www.persee.fr/doc/mat_0769-3206_2003_num_70_1_402450 ]] organisée par Madrid pour faire appliquer la décision du Tribunal constitutionnel espagnol, la «Guardia civil» a eu pour objectif d’empêcher le référendum jugé illégal au nom de l’ordre public et de l’unicité de l’état. Ainsi, la police militaire a attaqué des personnes venant voter «pour» ou «contre» l’indépendance. Si la démocratie ne se résume pas à un vote, le vote fait parti intégrante de la démocratie.



Dans le cas présent, Mariano Rajoy a opté pour l’option de la brutalité contre des électeurs venus pacifiquement sur un référendum n’ayant aucune valeur juridique. Le gouvernement espagnol s’est intéressé stricto sensu à ce que connote le fait de voter. Il y voit «un péril imminent» de la nation espagnol, puisque Mariano Rajoy a considéré que le droit de vote mettait en danger l’Espagne et son unité, qu’en conséquence ceux qui votent subissent la répression héritier d’une dictature mal digérée par les partisans du pouvoir actuel.

Au lieu de laisser le référendum couler sans véritable valeur juridique ou constitutionnelle, la «sauvagerie» policière du conservatisme de Madrid contre une base démocratique élémentaire interroge sur la vision que Madrid possède du vote, mais aussi de la peur qu’elle peut se faire du référendum.

La «Guardia civil» utilise des méthodes d’un autre âge montrant que cette «Espagne conservatrice, radicale et autoritaire» franchit des étapes progressives pour tenter de revenir sur le slogan majeur revêtant l’idéal d’un conservatisme débridé. Elle se résume par la devise franquiste : « une, grande et libre ». [[«L’Espagne « une, grande et libre » est le slogan officiel du franquisme. Il prône l’unité nationale, le rayonnement mondial et l’autosuffisance du pays», in, Justine Guitard, « Les arènes espagnoles sous le franquisme : un espace de « contre-pouvoir » ? », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 17 | 2016, mis en ligne le 31 janvier 2017, consulté le 30 octobre 2017. URL : http://ccec.revues.org/6379]].



L’émancipation de la Catalogne sous signe du chauvinisme

Le nationalisme Catalan laisse place à un compromis de classe. Sous le drapeau «or et orange» se glisse ceux qui pensent que les intérêts des travailleurs et des bourgeois s’inscrivent dans une histoire commune. Le nationalisme plus globalement permet de remettre en cause la lutte des classes en l’affirmant comme une théorie marxiste ou anarchiste, plus largement comme une vision d’extrême-gauche. Loin de reposer sur une théorie, il s’agit d’un «fait historique» mettant en avant les intérêts antagonistes des différentes classes sociales, les unes entre les autres. Cette remise en cause de la «lutte des classes» sous le drapeau catalan permet d’entrevoir une vision typique d’une classe dominante voulant se soustraire de Madrid pour des raisons historiques, mais aussi ses propres intérêts. Jusqu’ici, elle fait partie des communautés autonomes. Plus d’autonomie ou une indépendance entrevoit une vision particulière. La Catalogne reste le moteur économique de l’Espagne, elle représente plus de 20% du PIB.

De même, on viendra forcément à parler de la question des «états-nations», dont les différentes politiques exacerbent le repli identitaire. Il s’agit de mettre en évidence la les «états-régions», tout en faisant un pied de nez à Bruxelles et l’Union Européenne.

La crise économique issue de 2007, dont la gestion reste catastrophique par les différents états et l’Union Européenne pousse de nombreuses couches de travailleur vers des réflexes de sauvegarde pour tenter de s’accrocher à ce qu’ils peuvent.



La chimère du nationalisme pose de nombreuses questions, notamment lorsqu’elle est adaptée au niveau régional. Si le référendum mis en place par Barcelone fût déclaré illégal par Madrid, il s’agit bien d’arracher une région à un état, en voulant que celle-ci s’autodétermine. Les régionalistes utilisent un discours laissant entrevoir que l’intérêt des travailleurs s’inscrit pleinement dans cet «état-région».

De nombreuses organisations d’extrême-gauche ou encore des anarchistes prennent la «voix de la sécession». Ils s’embourbent une fois de plus dans la logique bourgeoise trahissant les intérêts des travailleurs et leurs idéaux. Une division qui secoue depuis quelques années les groupes anarchistes.[[Groupe anarchiste «L’Albada Social» de la Fédération Ibérique des Jeunesses Libertaires (FIJL), «Ni catalanistes ni espagnolistes», [Publié en catalan en septembre 2012] [En ligne] | mis en ligne le jeudi 21 août 2014, consulté le 31 octobre 2017| URL : http://www.non-fides.fr/?Ni-catalanistes-ni-espagnolistes ]]

Dans Barcelone, les Unionistes marchent sous le pas martial et du drapeau hérité du Franquisme [[ Aguilar Fernandez Paloma, «L’héritage du passé dans la transition espagnole», Matériaux pour l’histoire de notre temps, n°70, 2003, pp. 34-42.]]. La transition démocratique mise en place en 1976 n’a pas abouti dans son ensemble à purger l’ensemble des symboles de la dictature espagnol de 1939 à 1975. Le refus de remettre en cause le franquisme, comme une idéologie proche du «fascisme», du «pétainisme» et même du nazisme (notamment dans le cadre de Gernica) ouvre la voie à un patriotisme rance, laissant un boulevard à un nationalisme espagnol débridé.



Le sentiment identitaire inquiète, mais ne semble pas agacer les différents gouvernements européens. De nombreux vestiges du Franquisme subsistent dans l’espace public espagnol : statues, symboles, armatures, etc. Les plus défenseurs de cette histoire sombre se révèle comme être des partisans du parti politique au pouvoir : le Parti Popular. La Nuit sombre se lève dans une Espagne prise dans les démons du début du siècle dernier avec un régime toujours plus fidèle à ces principes : l’Autorité, la Paix et l’Ordre Public.

L’autoproclamé Président de la Catalogne possède un profil particulièrement inquiétant. Carles Puigdemont appartient à «la Convergence démocratique de Catalogne». Pour obtenir son siège de député au Parlement Catalan, il s’est allié à «l’Union démocratique de Catalogne» (membre du Parti populaire européen). En appartenant à la coalition nationaliste «Convergence et Union», dont les valeurs restent le libéralisme et la démocratie chrétienne, le message adressé aux travailleurs catalan ne peut qu’aboutir à une politique libérale associée à un conservatisme débridé. En Espagne, le poids de la religion reste très important dans les relations publiques, que cela soit en terme de morale, de valeurs sociétales. Cela empêche les progrès sociétaux adaptés au XXIème siècle. De plus, les mesures économiques s’accompagnent d’une austérité féroce, ainsi qu’une baisse des dépenses publiques, tout comme des mesures d’ajustement structurel toujours plus importants, notamment en faveur des entreprises et du marché du travail.

L’autodétermination d’une région vis-à-vis d’un état ne réside pas dans l’émancipation des travailleurs. Il s’agit simplement du remplacement d’un drapeau par un autre. Nous ne sommes pas non plus dans une «révolution démocratique», puisque la polarisation de la société catalane reste très importante. Qu’en est-il de «la République» tant vantée par les indépendantistes ? Il s’agit uniquement de s’enraciner dans l’histoire, notamment avec la mystification de la première République Catalogne de 1641. Ce retour dans l’Histoire met en évidence une vision très proche de celle de Barres pour une Catalogne finalement «éternelle».



La question de la République ou de la Monarchie, dans le cadre espagnol possède effectivement des connotations historique très forte. Les travailleurs britanniques sont exploités de la même manière que les travailleurs français, les travailleurs d’un pays subissent le même sort peu importe le régime lorsque celui-ci est dirigé par la classe dominante.

Dans le cadre de la crise économique secouant progressivement l’économie catalane, nul ne peut douter que le gouvernement utilisera un discours typiquement nationaliste afin de privilégier une exploitation toujours plus importante, afin de pallier une possible hausse du chômage et d’une récession économique de la région.

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