À propos du libertarianisme
Au sein de la mouvance libérale, se situent les libertariens, mais qui sont-ils et que veulent-ils ? Très peu connus du grand public, ces derniers cultivent des fantasmes se réfugiant derrière les libertés individuelles et les droits naturels.
Pour commencer par un auteur en particulier, ce serait Lysander Spooner (avocat de profession). Ce dernier revendique une société sans état, mais aussi sans nation du fait du libre choix des Hommes à choisir leur communauté de vie. Cette exigence d’une société sans état s’oppose fondamentalement à la revendication marxiste de la disparition de l’état ou chez les anarchistes (révolutionnaires) de l’abolition de l’État. Il s’agit de deux visions fondamentalement opposées. Ainsi, Spooner considère l’État comme une «association secrète de voleurs et d’assassins dont la législation est une usurpation et un crime» [[Lysander Spooner, Outrages à chef d’Etat, Paris, Les Belles Lettres, 1990, p. 60]], alors que Friedrich Engels perçoit que «l’État n’est rien d’autre qu’une machine pour l’oppression d’une classe par une autre, et cela, tout autant dans la République démocratique que dans la monarchie» [[Friedrich Engels, Introduction à la troisième édition allemande (1891) de «La guerre civile en France», Édition Science Marxiste, 2008, p. 25]]. Sur fond d’opposition à une lutte des classes, la thématique de l’oppression de l’état demeure omniprésente, mais ne se traduit pas de la même manière.
Spooner voit dans l’état des criminels contre les droits naturels, mais pas des oppresseurs au sens de l’existence des classes sociales ; les communistes et les anarchistes y voient la main mise de la classe dominante à savoir la bourgeoisie. L’état selon les libertariens possède une vision liberticide menaçant les droits naturels à savoir que «le droit naturel est la liberté que chacun a d’user de sa propre puissance, comme il le veut lui-même pour la préservation de sa propre nature, autrement dit de sa propre vie» [[Thomas Hobbes, Léviathan, Éditions Gallimard, 2000, p. 229]].
Dans Outrage à chef d’état, Spooner démontre que la Constitution n’est pas légale du point de vue de «la théorie des Contrats». En effet, en considérant la Constitution comme le contrat fondamental entre tous les citoyens, pour que le contrat soit exécutif entre tous les citoyens, les parties contractantes doivent l’avoir signées comme moyen de preuve. Or, dans le cadre de la Constitution des États-Unis d’Amérique, cette dernière a été proclamée en 1787 alors que la première édition du livre est publiée en 1867, soit près de 80 ans plus tard. À cette époque, plus aucun citoyen n’est en mesure d’affirmer qu’il dispose d’un contrat écrit avec la Constitution. Ainsi, Spooner résume sa thèse de cette manière :
Puisque la Constitution n’a jamais été signée, ni acceptée par quiconque en tant que contrat; puisque par conséquent elle n’a jamais obligé personne et n’oblige personne aujourd’hui; puisque, en outre, elle est telle qu’il n’est pas possible que quiconque l’accepte jamais, à moins d’y être contraint à la pointe des baïonnettes; pour toutes ces raisons il n’importe peut-être pas de déterminer sa véritable valeur juridique en tant que contrat. [[Lysander Spooner, op. cit., p. 159]]
Le libertarianisme est courant de l’anarchisme individualisme. Parmi ce dernier, il convient de différencier l’anarcho-capitalisme et le minarchisme (que l’on pourrait trouver sous la forme du néo-libéralisme le plus radical). Les uns pensent que la destruction devient une nécessité absolue pour la survie des droits naturels, alors que les autres y voient une contradiction notamment sur l’aspect régalien. Ainsi, l’état se doit d’être le moins intervenant possible dans la vie quotidienne des citoyens et se résume à la Justice, la Police et l’Armée, mais aussi à la réglementation nécessaire au bon fonctionnement de l’économie (notamment les règles de consensus sur le fonctionnement de la finance). On ne parlera pas du libertarianisme du gauche dans cet article.
La version stricte libertarienne remplace le «droit étatique» par le «droit des obligations». À l’inverse du droit dicté par le Parlement, on peut se demander sur quelle base de droit les contrats seront régis.
Quelques suggestions à propos de la thématique des contrats présente dans le Code Civil permettent de définir la base nécessaire des contrats. L’article 1104 affirme que «les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi» ou encore l’article 1130 met en avant que «L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes», en conséquence l’article 1131 déclare que «les vices de consentement sont une cause de nullité relative du contrat». De même, il convient de souligner que l’article 1140 du Code Civil énonce que «il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable» .
On pourrait résumer que les contrats nécessitent : la bonne foi, le consentement sans vices (erreur, dol et violence). Dans le cadre d’une société libertarienne, Spooner affirme que Les vices ne sont pas des crimes. Ainsi, il n’y a plus aucune base légale, puisqu’un contrat vicié n’est pas un crime, et ne peut paraître illégal selon le père du libertarianisme.
En conséquence, les tribunaux placés sous le Garde des Sceaux laissent place à des tribunaux d’arbitrage en cas de désaccord entre différentes parties d’un contrat. Néanmoins, ces tribunaux doivent pouvoir être reconnus par les parties contractantes du contrat à travers un contrat.
La force de la loi ne disparaît pas totalement, mais se mute dans le libre-arbitre total des partisans de cette société. Toutefois, les plus libertariens considèrent que
La seule raison qui rend exécutoires [des] contrats (…) est que leur rupture s’assimile à un vol implicite. Les contrats sans possibilité de vol implicite ne seraient pas exécutoires dans une société libertarienne[[Murray Rothbard, L’éthique de la liberté, Les Belles Lettres, 1991, p. 106]]
Pour faire face aux différentes critiques concernant la violence, Murray Rothbard écrit que
le libertarianisme soutient que seule l’autodéfense peut justifier le recours à la violence, et que l’emploi de la force devient illégitime, injuste et criminel lorsqu’il dépasse cette limite. [[Id., «Myth and Truth About Libertarianism», Modern Age n°24, 1 (Winter 1980), pp. 9-15]]
Plus récemment, le parti Libertarien aux États-Unis lors de l’élection des grands-électeurs en 2016 en vue de l’élection de la présidence, le parti a recueilli 4 488 919 voix, soit près de 3,28 % en terme de suffrage.
Utopie pour les uns, dystopie pour les autres, les droits naturels et les libertés individuelles promus par les libertariens laissent place à une gigantesque anomie. L’anarcho-capitalisme ne laisse aucune place à aucune dimension sociale. Il s’agit d’une lutte des classes particulièrement débridée, dont certaines personnes politiques s’en inspirent pour mettre en place des politiques minarchistes, afin de responsabiliser au maximum les individus et favoriser les inégalités sociales. En opposition fondamentale aux théories de Spooner, de Rothbard, le libertarianisme ajoute à la doctrine libertarienne la dimension égalitaire.