La politique turque est ottomane et islamiste

Olivier Roy a écrit un article dans le journal Le Monde (28/12/2016) intitulé “la politique turque n’est ni ottomane ni islamiste”. Le directeur de recherche au CNRS tente une thèse en contradiction avec les faits de la politique d’Erdoğan.

Olivier Roy ne semble pas se confronter aux différents paradoxes importants que soulèvent que soulèvent les évènements en cours que cela soit en Turquie, en Syrie ou en Irak d’être remis en cause. En effet, pour comprendre l’attitude du régime d’Erdoğan en Syrie, et de ses positions plus qu’ambiguë, il est nécessaire de s’intéresser au démantèlement de l’empire ottoman et de l’histoire de la frontière entre la Turquie et la Syrie. Ainsi, la position vis-à-vis des Kurdes ne diffèrent pas tant de celle qu’avait le régime de Bachar Al-Assad, mais c’était également la position du Sultan sous l’empire Ottoman.

La question de l’islamisme

On a pu parler de “néo-ottomanisme”, voire d’une politique “islamiste”, menée par un président qui rêverait en nouveau sultan.

Il apparaît également nécessaire de mettre en avant les liens avec un islamisme qui ne se résume pas une “internationale islamiste”, mais bien à une politique islamiste au niveau national.

Plus généralement, il est évident que l’affirmation que la politique d’Erdoğan que les occidentaux nomment : “islamo-conservateur”, n’est qu’une façade d’un pouvoir islamiste qui tente de prendre contrôle d’un pays afin d’y imposer les règles d’un islam politique adapté à la Turquie. Contrairement à l’Iran dont le régime est clairement chiite, la vision d’Erdoğan tend à imposer la Charia de manière progressive, et cela, de manière pas à pas. Dans ses alliances à la Türkiye Büyük Millet Meclisi (TBMM), on constate que l’AKP possède une proximité avec les ultranationalistes du MHP (mouvement néo-ottoman). Ce rapprochement étant claire met en mouvement une forme d’alliance tacite entre la mouvance islamiste et celle qui rêve d’un nouvel empire ottoman.

De plus, la réaction du régime face à la tentative de putsch militaire du 15 Juillet 2016 peut-être considérée à plein d’égard comme la mise en mouvement d’une “révolution islamique sunnite”. La question du Güllenisme apparaît annexe à cela, puisque l’appareil politique de l’AKP a été formé par la formation de Gülen. Les procès d’Ergenekon étaient d’ailleurs une alliance entre l’AKP et le Güllenisme. À l’époque, le régime ne parlait pas du fameux “FËTO”, mais coopérait tant bien que mal.

Au même moment, la victoire des islamistes aux élections tunisiennes et égyptiennes a permis à l’AKP de présenter comme le “grand frère” des frères musulmans de tout poil, qui ont, ici et là, baptisé leurs nouveaux partis avec les termes de “justice” et de “développement”, comme l’AK.

La question de la montée en puissance de l’AKP au début des années 2000 s’est inscrit dans une logique avant tout pro-européenne dont l’intégration aux différentes normes a été le moteur clef des réformes économiques. La montée en puissance des “Frères Musulmans” dans différents pays s’est appuyée en premier lieu sur l’Égypte où Erdogan a félicité Mohamed Morsi, le chef des Frères Musulmans. Lors du renversement du régime par Abdel Fattah al-Sissi et d’un mouvement populaire, il avait déclaré que “la chute de Morsi est un nouveau déboire pour la Turquie”. Mais plus largement, il avait estimé, en août 2013, que ce qu’on dit en Egypte, que la démocratie ne se fonde pas sur les urnes. Qui se trouve derrière cela : Israël”.

Trouver le refuge du bouc-émissaire dans Israël s’inscrit inexorablement dans le courant politique auquel il appartient. Au-delà de l’obsession du complotisme, il s’agit bel et bien d’une marque de reniement pour tenter de trouver des réponses simplistes à des conflits complexes. Cette forme se traduit “certainement” par un antisémite plus ou moins débridé dans l’appareil turc.

Erdoğan s’est fait alors le champion de la cause arabe sunnite, de Gaza jusqu’à Alep, d’autant que l’épisode de la flottille de Gaza en mai 2010 avait débouché sur la remise en cause de l’alliance traditionnelle avec Israël.

Entre 2010 et 2016, le régime turc s’est montré largement hostile à la politique de Nethanyaou. Au-delà des questions politiques, il s’agissait de la mise en dynamique d’une opposition à Israël en tant qu’État-Nation.

Sur fond de crise froide, la question islamique est plus présente que jamais dans le discours de Recep Tayyip Erdoğan, mais le rapprochement avec le gouvernement actuel qui est le même que celui de 2010 (avec des changements internes) s’intègre avant tout dans un contexte régional et géopolitique ayant été modifié. Voir dans une logique que le gouvernement aurait renié ses idées, se conçoit comme un refus d’analyse sérieuse de l’actualité.

Mais surtout, le ralliement d’Ankara à l’axe Téhéran-Damas-Moscou entraîne la fin du soutien  (ou un soutien plus faible) aux sunnites avec pour conséquence la chute d’Alep que seule la Turquie aurait pu sanctuariser (Obama y avait renoncé depuis longtemps et les Européens n’en ont ni la volonté ni les moyens). Il va aussi de paire avec un rapprochement avec Israël. Bref, Ankara abandonne les sunnites arabes et, en particulier, les Frères Musulmans. Il n’y a plus rien d’islamiste dans la politique étrangère de la Turquie.

Ankara n’a jamais rallié l’axe avec Téhéran. La question des tensions entre l’Iran et la Turquie se fait sur un jeu géopolitique régional, mais aussi sur une question islamique notamment la différence entre le chiisme et le sunnisme. Ipso Facto, la chute d’Alep a mis en avant le double jeu avec Moscou ne remet pas en cause sa volonté de soutenir les rebelles compatibles avec sa doctrine. Toutefois, la volonté de trouver une solution “sérieuse” pour mettre fin au conflit peut sembler apparente, mais l’opération “bouclier de l’Euphrate” s’inscrit dans une reconquête des “rebelles” sur fond de lutte contre “Daesh”, mais aussi contre le YPG/FDS. Illico Presto, Ankara tente une percée sur la question terroriste alors que ses relations avec de nombreuses organisations terroristes apparaissent plus que troubles, notamment dans la question de Daesh. De ce fait, on peut dire qu’Ankara n’a jamais abandonné la rhétorique djihadiste issue des Frères Musulmans. Le déplacement du conflit ne fait pas pour autant, l’abandon de l’islamisme par Ankara.

L’héritage ottoman de la chasse aux Kurdes

Il convient de souligner que l’héritage ottoman sur la question kurde est d’ailleurs fortement ancré dans la position du régime de Damas et de celui d’Ankara vis-à-vis des Kurdes.

La guerre en Syrie a permis aux Kurdes syriens (dont il faut rappeler que plus d’un million d’entre eux n’avaient aucune existence légale aux yeux de l’État syrien) de devenir une des principales forces militaires et politiques de Syrie avec le soutien américain. Or, le parti dominant, le PYD, n’est qu’une émanation du PKK, qui a cru, à tort sans doute, que la crise syrienne était une opportunité de reprendre les armes contre la Turquie, alors que l’AKP s’était engagé dans un processus chaotique de négociation.

La situation au Nord de la Syrie est le résultat des tensions communautaires. L’ethnocentrisme “arabe” ou “ottoman” permet d’écraser les minorités. Dans le cas des Kurdes, on constate que le projet d’un Kurdistan vieux de plus d’un siècle a toujours été bloqué par les deux pays. Il s’agit d’un moment phare des peuples à pouvoir disposer d’eux-mêmes, et donc de conquérir un nouvel état. De plus, au-delà d’être une forme militaire, il s’agit d’une force numéraire.

Le processus des islamistes de l’AKP a été interrompu par leur doctrine mêlant la religion à la politique. La guerre permet les élections et la chute de la démocrate.

Mais le mal est fait, la représentation politique s’abat sur l’aile politique du mouvement kurde, le DHP, qui n’a pas su convaincre de indépendance par rapport au PKK. La reprise des attentats contre l’appareil turc ne peut que nourrir l’escalade en Turquie.

Le DHP (Parti démocratique des régions) était le parti des minorités de l’Est de la Turquie. Le considérer sur le plan d’un parti pro-kurde revient à reprendre la rhétorique d’Erdoğan. Cette position s’inscrit dans une vision simpliste. De plus, le DHP n’a aucun lien avec le PKK (il se réclame cependant du Confédéralisme Démocratique et la libération d’Abdullah Öcalan afin de permettre à l’Est de la Turquie, une stabilité dans le temps). La reprise des attentats n’est pas soulignée par Olivier Roy, mais trouve sa place dans celui de Suruç. À l’époque, l’AKP était pointé du doigt pour son soutien à Daesh. Les jeunes tués étaient des progressistes voulant justement reconstruire Kobanê. D’ailleurs sur la bataille de Kobanê, l’un des principaux adversaires du régime turc était les civils de Kobanê. Une mise en mouvement qui en disait déjà beaucoup à l’époque.

Deux jours plus tard en représaille à l’attentat, les TAK ont exécuté froidement deux policiers accusés de sympathie avec Daesh. En l’occurrence, Olivier Roy comme le régime turc ne semble intéresser par cette question primordiale, mais préfère pointer du doigt les attentats.

On peut aussi évoquer une paranoïa anti-américaine où Obama se voit accuser de soutenir Gülen et les Kurdes, c’est-à-dire les deux ennemis mortels aux yeux d’Erdoğan.

Sans Gülen, il n’y aurait pas eu l’AKP. Le pouvoir mégalomaniaque s’est trouvé un bouc-émissaire pour justifier les purges. Mais parler de FËTO, doit amener à considérer que l’AKP est une organisation terroriste.

C’est bien et le rêve néo-ottoman et la solidarité sunnites qui sont morts à Alep. C’est cela que l’assassin de l’ambassadeur russe est venu rappeler, même s’il s’est bien gardé de mettre en cause Erdoğan.

L’assassinat de l’ambassadeur russe ne montre pas que la question d’une solidarité vis-à-vis des sunnites est mise à mal. Il confirme simplement que les militants au sein de l’AKP sont plus proches des mouvements djihadistes ou islamistes que des mouvements progressistes. Dans ce cas présent, il s’agissait de venger les habitants tués à Alep par le régime Russe sous couvert d’un “terrorisme”, mais surtout sous le signe d’Allah.


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