Laura-Maï Gaveriaux : “On n’est jamais pro-Bachar par hasard”

reportage-laura-mai-gaveriauxLaura-Maï, dont Kedistan suit le travail depuis juin, est une journaliste indépendante travaillant en Moyen-Orient. C’est, elle aussi, une kedi voyageuse des gouttières, au Moyen-Orient de préférence.

Sur Kedistan, nous avions diffusé son excellent article du Monde Diplo, mais aussi sa TL concernant la bataille de Mossoul. De passage en coup de vent à Paris pour une courte période, nous nous sommes entretenus au téléphone juste avant qu’elle reprenne l’avion vers Erbil afin de poursuivre le travail qu’elle a commencé.

Depuis, la tentative du coup d’état du 15 juillet dernier, le régime turc s’est enfoncé dans une purge sans précédent. En effet, elle affirme que le pouvoir de Recep Tayyip Erdoğan considère “les journalistes comme des terroristes”. De ce fait, si “un journaliste a réalisé une interview d’un membre de l’opposition, ou d’une personne blacklistée par le régime, il/elle risque d’être considéré-e comme un terroriste”. Le qualificatif du terrorisme par l’AKP se résume à “qualifier les membres de l’opposition”. Dans ce contexte, la marge de liberté de la presse est réduite à néant, puisque les journaux hostiles au régime, ou tout simplement ayant une ligne éditoriale relativement libre sont fermés les uns, après les autres.

Selon, RSF (Reporters Sans Frontières), la Turquie est passée de la déjà 99ème place sur 134 à la 151ème sur 180 pays concernant la liberté de la presse. Cette baisse considérable selon RSF résulte d’une “dérive autoritaire du président Recep Tayyip Erdoğan”. Ainsi, RSF avait nominé le Président turc comme “prédateur de la liberté de la presse”, et cela, “depuis 2009“. Plusieurs centaines de journalistes ont été arrêtés et autant, ont été incarcérés (autour de 150 à ce jour). Kedistan avait publié récemment une liste, déjà obsolète des journalistes qui avaient été mis en garde-à-vue, et celles et ceux qui demeurent détenus.

Le régime turc a arrêté la semaine dernière le journaliste français Olivier Bertrand, cofondateur du magazine en ligne “Les Jours“. Cela ne doit rien au hasard, puisque le régime l’a arrêté dans le cadre d’une instruction concernant ses articles jugés “trop défavorables” à Erdoğan. Il a été placé au cachot pendant près de trois jours. Il a été libéré grâce “au travail remarquable que fait le Quai d’Orsay”. Mais, tous les journalistes ou les civils n’ont pas forcément la chance d’être défendus par le Quai d’Orsay et d’avoir des interprètes avec des avocats. Dans ce contexte, il ne faut pas nier que de “nombreux-ses journalistes arrêté-e-s vivent une précarité effroyable dans les différents lieux de détention”.

Les prisons sont vidées des droits communs pour faire place à des prisonniers politiques. Cela ne peut qu’inquiéter pour la suite.

Concernant la Syrie, ce qui se passe dans la ville d’Alep, comme dans d’autres villes en Syrie, ne laisse pas indifférente Laura-Maï.

En effet, elle considère que mettre sur le même plan les bombardements russes ou de Damas et les différentes exactions qui peuvent exister chez les rebelles (dont certaines factions sont islamistes) n’est pas crédible, puisqu’à ce jour “les rebelles n’ont pas d’avions”. Des roquettes ne peuvent être comparées à ceux qui lancent des bombes par dizaines souvent sur les civils. De ce fait, “lorsque les journaux mettent sur le même plan, les rebelles et la coalition au pouvoir, ils témoignent d’un sévère problème de traitement dans le récit médiatique de la guerre en Syrie”. D’après Laura-Maï, il faut commencer à s’interroger sur ceux qui émettent ce discours, et le point de vue depuis lequel ils parlent. “On n’est jamais pro-Bachar par hasard… on a souvent des proximités avec l’extrême droite française, ou avec des patrons de presse poursuivant des intérêts. Il ne sera jamais trop tôt pour questionner les arrières pensées de ceux qui minimisent les crimes de masse à Alep.”

Enfin, concernant la bataille de Mossoul, elle a soutenu que “l’armée irakienne marque actuellement une pause”. Si les médias affirment que la coalition est entrée dans Mossoul, elle tient à nuancer. : « ils sont actuellement dans les faubourgs périphériques de la ville, et avancent beaucoup plus lentement que les images de guerre en continu ne peuvent le laisser penser. La vraie confrontation n’a pas eu lieu, pour l’instant les forces irakiennes sont confrontées à des voitures piégées, des mines, mais encore assez peu de combats urbains rapprochés, le plus dur reste à venir”.

Les attaques suicides, mais aussi les exécutions de masse risquent de compliquer la tâche. Tombant sur une note positive, “il y a une bonne gestion des associations humanitaires” dans la prise en charge des réfugiés, le bilan à ce jour est moins “négatif que prévu”.

Sur les violations des droits humains et les risques pour les civils, les ONG Amnesty et HRW font un travail de fond assez courageux et précis. Quelques rapports à consulter : ici et .

Cela dit, et contrairement à ce que certains médias ont pu laisser entendre ces derniers jours, la prise en charge des déplacés est pour l’instant bien assurée par les agences et les ONG, le bilan est moins négatif que prévu à ce jour. Il reste à voir comment la situation évoluera dans les semaines à venir, quand les forces irakiennes parviendront au coeur de Mossoul.

Image à la une : Khalid Mohammed | AP-SIPA, 2016

Chronique sur Kedistan

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