L’abus sur mineurEs légalisé par mariage ?
Une forte polémique politique a été ouverte en Turquie, suite au vote d’un amendement proposé par l’AKP et défendu par le gouvernement, durant la révision de la loi incluant les “abus sur mineurEs”.
Il y avait déjà dans le lois turques, une distinction entre les viols sur mineurEs, sur adultes, la majorité sexuelle… Les failles juridiques avaient déjà conduit en juillet, alors qu’une cour avait annulé un jugement, à suspendre l’application de certains articles…
Rappelons qu’ici l’extrême droite en avait fait ses choux gras, établissant un lien direct entre musulmans et pédophilie, et amenant certainEs sur un autre registre, à se faire l’avocat du diable, en défendant cette fois la logique de “révision” de la loi, qui entraînait de facto un abaissement de la majorité sexuelle, dans sa formulation.
“Pour les crimes commis jusqu’au 16.11.2016, sans qu’il y ait eu intimidation, menace, abus de faiblesse ou une autre cause affectant la volonté ; dans le cas où l’auteur du crime se marie avec la victime ; sans prendre en compte les conditions définies à l’article 231 du Code Pénal, la condamnation sera reportée, ou si elle est déjà prononcée, sera mise en sursis.
Dans le cas où le mariage est rompu dans les délais de prescription, la faute incombant à l’auteur : le tribunal prononcera une condamnation ou si la condamnation avait été prononcée et suspendue, elle sera appliquée.
Dans le cadre de cet article, en cas de report ou prononcé de sursis pour la peine de l’auteur, en ce qui concerne les personnes ayant incité au crime ou été complices : si leur condamnation avait été prononcée, elle sera supprimée, et si la décision du tribunal n’est pas encore prise, un non lieu sera prononcé.”
Sujet très polémique donc, et objet de tous les fantasmes, qu’il convient de ne pas mêler si on veut y voir clair dans les véritables intentions du gouvernement AKP.
Commençons par remarquer qu’en interne, cette polémique arrive à point nommé après l’arrestation et la décapitation politique du troisième groupe d’opposition, le HDP, seule représentation d’une opposition démocratique au Parlement. Même si on ne peut soupçonner Erdoğan d’avoir choisi ce moment, alors que déjà, sur de multiples questions des droits humains, il provoque des “inquiétudes” côté Union Européenne, semer la zizannie pour mieux redistribuer les cartes politiciennes, on voit surtout qu’il veut tester là, l’introduction dans la loi d’une sorte de “droit coûtumier” teinté de “droit coranique”, concernant les relations homme/femme, tout comme l’âge et le consentement sexuel.
Le ministre de Justice Bekir Bozdağ, a déclaré qu’il y a beaucoup de couples de mineurs, qui sont mariés religieusement mais ne peuvent pas se marier officiellement à cause de leur âge. Il prétend que, la première phrase “Pour les crimes commis, sans qu’il y ait intimidation, menace, abus de faiblesse ou une autre cause affectant la volonté” écarte les cas de viol. Et ajoute que ce projet est fait surtout pour légaliser les mineurs en couple.
Le ministre de la Justice a aussi affirmé avec applomb que son projet de loi avait finalement pour objectif de “protéger les enfants“. Les concernés (dont des violeurs) “ne sont ni des violeurs, ni des agresseurs sexuels” a déclaré également le ministre. Selon lui, la principale victime serait “le mari qui est envoyé en prison, plongeant la femme et l’enfant dans les difficultés“.
Mais qu’en sera-il des mariages mineur-majeur, voire mariages enfant-adulte ?
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Il n’y a pas de meilleure source donc, pour aborder cette question, que la déclaration de la “Commission parlementaire des femmes du HDP”, aux premières loges, bien qu’en ce moment en boycott du Parlement. Nous en traduisons des extraits ci dessous.
“Nous connaissons très bien ces machinations qui servent à blanchir les violeurs et obscurcissent la vie des femmes pour toujours. N’ayez pas de doute que nous allons empêcher ces lois, comme nous l’avons déjà fait dans le passé, révélant vos machinations et empêchant ainsi vos lois ‘de mariage avec violeur'”
La déclaration dénonce en précisant que : “L’article du Code Pénal turc, concernant le ‘mariage avec le violeur’, qui a été changé, après de maintes luttes des mouvements de femmes et féministes, est tenté d’être remis en vigueur” et souligne que “de surcroit, ceci est fait par l’entremise des enfants”.
“Grâce à cette révision de loi, les personnes qui ont abusé des enfants, vont éviter la prison dans le cas où ils épousent leur victime. Ils [le gouvernement] n’hésitent pas à défendre dans le Parlement et sur les médias, l’abus des enfants, dont ils ont essayé d’étouffer la connaissance par des censures sur l’information, les exemples comme Karaman, Adıyaman [scandales récentes, viol et pédophilie], et maintenant ils veulent le légaliser aujourd’hui.
Le communiqué détaille en plusieurs points, les conséquences de cette révision dans le cas où elle serait appliquée.
– Le crime d’une personne ayant abusé d’un enfant de 10 ans, restera sans peine, si celle-ci épouse cet enfant, quand il arrivera à l’âge légal autorisé pour le mariage. L’âge de l’abuseur n’a aucune importance, il peut aussi bien avoir le même âge que l’enfant, que 50 ou 70 ans…
– Les juges pourront décider que des enfants de 13 ans ont été “consentants” envers leur abuseur de 50 ans. C’est à dire que dans les cas d’abus, le “consentement” sera étudié et pris en compte.
– Les enfants vont donc déclarer sous pression et menaces, qu’ils étaient consentants.
– Les familles qui “confient” leurs enfants, contre argent, à des abuseurs, en cas de mariage, ne se seront pas inquiétées. Avec le manque de réaction sociale, les familles pourront plus facilement marier leurs filles précocement, pour de l’argent.
– Le fait que la décision soit suspendue ou que la peine soit mise en sursis, en cas de mariage, obligera les victimes à poursuivre le mariage sous menace.
“Le mariage d’enfant est un viol à vie” : La déclaration met l’accent sur le fait que les enfants trainés vers un mariage précoce, subissent systématiquement la violence psychologique ou physique de la personne avec laquelle ils sont mariés, ainsi que celle de sa famille.
“Les enfants sont mariés sans aucune connaissance sexuelle, sont violées par leur époux, et se trouvent avec de nombreux problèmes de santé. La première cause de mortalité chez des filles de 15-19 ans, est la grossesse et les problèmes causés par l’accouchement. Les enfants sont arrachés à leur milieu, par la personne avec laquelle ils sont mariés. Ils ne sont pas envoyés à l’école et ils ne sont souvent pas autorisés à sortir de la maison.”
Cette révision de loi, viole ouvertement la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, ainsi que la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique “
Le retournement du statut d’agresseur au statut de victime n’est pas un fait anodin. Il s’agit d’une pierre angulaire des différentes sociétés patriarcales, et notamment dans les différents pays contrôlés par des régimes islamistes. De ce fait, la question du viol n’est plus abordée frontalement, en affirmant que seul les violeurs et les agresseurs sont responsables. Il s’agit d’un ensemble de projets de loi revenant à la charge sur la dé-responsabilisation totale du viol et des agressions sexuelles, et détruisant ce que les mouvements de femmes avait contraint à inclure au fil des ans. On peut clairement penser que d’autres projets concernant femmes et familles iront dans ce sens.
De ce fait, la mesure permettrait là, la suspension de la condamnation d’une personne pour agression sexuelle sur mineur commise avant le 11 novembre 2016 si son auteur épouse sa victime. Le résultat pourrait concerner près de 3 000 personnes. Quand on dit, qu’Erdoğan vide les prisons des auteurs de certains crimes, il s’agit quasi d’une démonstration supplémentaire.
Et d’ailleurs, la justice patriarcale turque n’a pas attendu cette modification pour “juger”, bien souvent.
Dans ce contexte, Twitter a été une nouvelle fois très bavard, les twittos n’ont pas attendu l’autorisation du pouvoir turc pour condamner pleinement ce projet de loi archaïque et patriarcal. Le Htag le plus populaire en Turquie a été #TecavüzMeşrulaştirilamaz c’est-à-dire #OnNePeutPasLegitimerLeViol. Il a été utilisé plusieurs dizaines de milliers de fois. De nombreuses personnalités publiques ont participé à ce Htag .
En parallèle se trouve une pétition sur le site change.org
On se demande comment le gouvernement va réagir face à une opposition si importante, concernant son projet de loi. En effet, près de 700 000 personnes ont déjà signé cette pétition.
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Toutefois, ne soyons pas dupe, la pétition interpelle les parlementaires c’est-à-dire la majorité des islamistes de l’AKP. De ce fait, cela revient fondamentalement à affirmer que la pétition n’a aucune chance d’aboutir. La majorité absolue de l’AKP ne changera pas véritablement son orientation politique : islamisme politique et néolibéralisme.
En période d’état d’urgence où les islamistes ont les pleins pouvoirs, cela donnera du grain à moudre pour les barbus …
Ajout du 21 novembre : Le ministre a finalement annoncé que le débat était reporté, et que le projet serait examiné ultérieurement, cèdant ainsi à une forte réprobation, y compris du côté ultra -nationalistes, ses alliés… Reculer pour mieux sauter ?
Chronique sur Kedistan