Ils ne nous empêcheront pas de manifester contre la Loi El-Khomri
Parfois, on se demande si l’amnésie collective est une pathologie ou pas. On peut même se poser la question s’il s’agit d’un oubli involontaire et délibéré de la part d’une partie ou de la totalité du gouvernement.
Cela amène à s’interroger sur les évènements que la France a vécus étaient de l’ordre du fictif ou du réel. Le 11 Janvier 2015, quatre millions de personnes sont descendues dans la rue pour soutenir la liberté d’expression, par ailleurs la liberté de presse. Quoi que l’on puisse penser ou imaginer, il s’agit d’un moment historique à l’échelle nationale et internationale. Ce moment est fondateur pour la République afin de montrer que les citoyens souhaitent des droits et des libertés. On aurait pu conclure que la logique du gouvernement changerait. Effectivement, le gouvernement a changé, nous ne pouvons le nier. Le droit de manifestation et de s’exprimer sont des principes à valeur constitutionnelle. Autrement dit, il s’agit de droits et libertés intouchables, bien qu’ils soient encadrés par la Loi.
Pourtant, Stéphane Lefoll, porte-parole du gouvernement a affirmé qu’il n’y aura “plus d’autorisation de manifester si les conditions de la préservation des biens et des personnes et des biens publics ne sont pas garantis”.
La remise en cause du droit de manifester par l’état peut se traduire par la remise en cause de la démocratie elle-même. Il s’agit d’une déclaration particulièrement dangereuse dans un contexte social difficile. La moindre étincelle peut mettre le feu aux poudres et faire exploser les barils qui les contiennent. Vouloir interdire une manifestation au nom de l’ordre public apparaît comme le venin d’une idée qui n’est pas celle de la République.
Ensuite, l’interdiction de la part de la Préfecture de Police suppose une procédure particulièrement complexe débouchant devant le tribunal administratif par la voie d’un référé. La grande majorité des décisions prises par le juge vont dans l’intérêt des manifestants en sauvegardant leurs libertés. Toutefois, le premier degré du référé-liberté met certes moins de 48h00 pour statuer dans l’urgence, alors que la cour d’appel administrative et le Conseil d’État jugeront sur une longue durée et sur le fond du dossier.
Quant à l’effet produit par l’arrêté préfectoral, il s’avère quasi nul, puisque les manifestations se déroulent tout de même, mais dans des conditions plus compliquées et surtout plus tendues. Vouloir empêcher de manifester quelques centaines de personnes ou quelques centaines milliers de personnes, ce n’est point la même chose. Autrement dit, même si le gouvernement par l’intermédiaire du Préfet de Police interdisait la manifestation, des milliers se rassembleront pour contester l’interdiction, mais aussi pour continuer de renforcer le mouvement d’opposition à la loi travail.
Or, pour que la Préfecture de Police puisse appliquer son arrêté et que celui-ci produise les effets voulus, seule une répression de grande ampleur devient nécessaire. Cette méthode ne peut qu’aboutir à des affrontements. Cette stratégie de la tension permanente est organisée par Bernard Cazeneuve sous la tutelle de Manuel Valls.
Nous passons progressivement d’une lutte à une guerre de classes. Les guérillas urbaines qui font rage dans les différentes villes n’ont à aucun moment interpellé le gouvernement, si ce n’est renforcer la détermination du gouvernement à passer en force. Nous sommes sur un jeu d’échec grandeur nature, chaque mobilisation et les conséquences produites sont le déplacement d’un pion sur le plateau. Pourtant, comme le définit Rosa Luxembourg dans Grève de masse, Parti et Syndicat :“ le combat de barricades, l’affrontement direct avec les forces armées de l’Etat, ne constitue dans la révolution actuelle que le point culminant, qu’une phase du processus de la lutte de masse prolétarienne”. Il s’agit de la phrase violente de la lutte des travailleurs pour obtenir d’avantage de droits et de libertés, mais aussi en finir avec l’état.
Les Blacks blocs sont pointés du doigt par l’opinion publique pour leur violence et des dégradations contre les symboles capitalistes, mais ces symboles ne sont que le reflet de la violence permanente que subit quotidiennement le prolétariat. De plus, dans le débat anticapitaliste, la question de la violence est régulièrement posée. Toutefois, on ne peut nier que les manifestations sont de plus en plus violentes.
Victor Hugo voulait “que la République ait deux noms : qu’elle s’appelle Liberté, et qu’elle s’appelle chose publique”. Or, le libéralisme économique s’impose par la violence et tout ce qui appartenait à la chose publique devient une chose privée. Il existe un paradoxe évident entre la philosophie libérale et l’économie néolibérale. La liberté pour ceux qui possèdent la chose privée ne se fait pas sans une confrontation matérielle. La dérive autoritaire du gouvernement n’en est pas une. Le “libéralisme autoritaire” a été conçu dans les années 70. Par conséquent, plus la France sera libérale, plus sa liberté aura un goût prononcé de la matraque.
L’ordre public s’inscrit souvent dans le cadre d’un ordre politique où les idées jugées marginales sont pointées du doigt. Cela ne peut que mener le gouvernement dans une dérive où le modèle antirépublicain est compatible avec le modèle néolibéral. L’un des slogans de Hoover était “la reprise est au coin de la rue”, on pourrait le paraphraser en affirmant que “le danger est au coin de la rue”. La France peut à tout moment basculer dans un régime antirépublicain, le plus paradoxalement au nom de “la République”.
Par conséquent, pour faire face à l’interdiction des manifestations, il devient nécessaire de résister en bravant les interdictions qui sont susceptibles de tomber. S’il s’agit d’un délit, mieux vaut avoir une attitude délictueuse, mais défendre les principes démocratiques et les libertés individuelles. Très régulièrement, c’est en bravant l’interdiction que le progrès avance, même s’il ne plaît pas aux différentes réactionnaires qui veulent toujours revenir en arrière.
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