Hannah Arendt, l’état islamique et le totalitarisme

hannah-arendt-le-systc3a8me-totalitaireDans cette période de crise sociétale, la croissance du nombre de personnes adhérant aux thèses de l’organisation de l’État Islamique augmente de manière frénétique. Cela suppose des questions majeures sur le totalitarisme.

Il devient élémentaire d’affirmer que l’organisation terroriste s’inscrit dans une logique totalitaire. De là, on peut s’intéresser au livre de Hannah Arendt “aux origines du totalitarisme”. Dans son chapitre premier, la philosophe décrit le phénomène totalitaire avec une précision importante. Si son œuvre reste critiquable, elle en demeure une référence. Ainsi, son explication s’applique également à Daesh. Toutefois, les régimes comparés n’ont pas de lien entre les deux. Je ne pense pas que l’on peut comparer le nazisme à Daesh. Dans, le cadre présent, la comparaison s’adresse au point théorique de ce que développe Hannah Arendt.

L’Académie Française définit le mot “populace” [1] comme “la partie la plus pauvre du peuple, que l’on tient pour dangereuse, incontrôlable, et à qui l’on prête des comportements grossiers ; bas peuple”. On peut évidemment souligner la référence évidente entre la “populace” et le  “sous-prolétariat” qu’on appelle aussi le “lupen-prolétariat”. Mais, le terme “populace” va encore plus loin, puisque la pauvreté peut se situer d’un point de vue financier, mais aussi d’un point de vue intellectuel. La question intellectuelle ne prend pas en compte le niveau d’étude. Lorsque, l’histoire de Sophie, étudiante en khâgne rejoint Daesh est mise au grand jour. La typologie sociale des personnes allant au front combattre se retrouve dès lors confronter à un préjugé important. De nombreuses personnes ont fait de hautes études. Elles se retrouvent à grossir les rangs de l’organisation terroriste.  Ce ne sont pas que les classes populaires qui vont combattre en Syrie, en Irak ou en Libye. Le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI), dans une étude a mis en avant la typologie sociale de ceux qui rejoignent Daesh : classes populaires (16%), classes sociales moyennes ou supérieures (84%). L’organisation terroriste touche donc toutes les classes sociales. Au final, elle les atomise [2] en ramenant toutes les classes sociales au stade de “populace”, une fois sur place. Autrement dit, chaque personne devient de la chair à canon.

Ainsi, Hannah Arendt intègre les classes moyennes et les classes aisées qui par leurs actions en faveur de l’organisation terroriste se comporte comme “la populace”. L’atomisation du prolétariat et la perte fondamentale de repère en se généralisant créent une universalité pour les personnes rejoignant l’organisation terroriste. La propagande du meurtre permet à certaines personnes d’adhérer à des idées violentes sans se soucier du fond de l’idée. La déconnexion avec la réalité se situe souvent sur un terrain de fragilité psychologique des personnes qui ont été enrôlées dans Daesh. Toutefois, il n’y a pas de raison de croire que les personnes qui commettent ces massacres, possèdent des maladies psychiatriques, et pour cause, ils sont entièrement responsables de leurs actes.

Hannah Arendt expliquait que

les mouvements totalitaires peuvent à juste titre prétendre qu’ils furent les premiers partis réellement antibourgeois ; aucun de leurs prédécesseurs du XIXème siècle – ni la société du 10 décembre qui aida Louis Napoléon à s’emparer du pouvoir, ni les escouades de bouchers pendant l’affaire Dreyfus, ni les Cents-Noirs des pogroms russes, ni les mouvements annexionnistes – ne réussit jamais à embrigader leurs membres au point de leur faire perdre toute exigence et ambitions individuelles, aucun d’eux n’avait jamais envisagé qu’une organisation puisse réussir à détruire l’identité individuelle de façon permanente, et pas seulement le temps de l’action collective et Héroïque. [3]

Or que l’on soit claire, Daesh ne se comporte en aucun cas en mouvement antibourgeois, l’important dans cette citation reste la dernière partie qui est soulignée.

Ce qui différencie les organisations terroristes islamiques comme le Hezbollah, le Hamas, Al Qaïda et Daesh est leur rapport au totalitarisme. Sur les trois premières organisations, l’identité individuelle de la personne est présente, alors que dans le dernier la destruction de l’identité individuelle permet à des personnes de se sentir uniquement attiré par un groupe et faisant tout pour le groupe. La question de la peur n’existe plus.

Nous assistons en parallèle à des organisations terroristes du Type Al-Quïda, Le Front Al Nostra qui sont semi-totalitaires (il n’y a pas de projet politique derrière) à Daesh qui a pour vocation d’établir une région où est appliquée la doctrine du “totalitarisme intégral”.

La question génocidaire, des purges, de l’élimination systématique n’est pas sans rappeler différents conflits dans le monde. La fusion entre ISIS et le BAAS (le Parti de Sadam Hussein) permet clairement de comprendre les méthodes mises en place par Daesh. Sadam Hussein avait été condamné pour génocide, crime contre l’humanité et crime de guerre.

La “pureté” religieuse, ethnique, politique voulue par l’appareil politique de Daesh se base pour soumettre sa “populace”. L’unicité est à différencier du concept de l’égalité.

Les images des exécutions sommaires (ou les massacres de masse), les exécutions planifiées ou médiatiques entrent dans le cadre d’une guerre psychologique dont l’objectif est de terroriser les ennemis de Daesh, c’est-à-dire “nous”. En montrant la politique de la terre brûlée, les victimes sont, de fait, utilisées à des fins de propagande. L’organisation terroriste peut-être capable de faire la différence entre la vie et la mort, l’être humain reste avant tout considéré comme un objet.

Face à la radicalisation des personnes pour faire le “djihad terroriste”, la réponse ne peut qu’être politique avec une sensibilisation profonde pour expliquer les mécanismes de l’endoctrinement. Cette lutte possède un caractère psychologique à prendre en compte.


[1] Hannah Arendt, les origines du totalitarisme : 3/ le système totalitaire, chapitre premier : une société sans classe, 2. L’alliance provisoire entre la populace et l’élite, le Seuil (collection « Points / Essais », nº 307), 2005, p 71

[2] Hannah Arendt, les origines du totalitarisme : 3/ le système totalitaire, chapitre premier : une société sans classe, 1. les masses, le Seuil (collection « Points / Essais », nº 307), 2005, p 65

[3] Hannah Arendt, les origines du totalitarisme : 3/ le système totalitaire, chapitre premier : une société sans classe, 2. L’alliance provisoire entre la populace et l’élite, le Seuil (collection « Points / Essais », nº 307), 2005, p 50

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