La déchéance de nationalité ou l’antirépublicanisme
L’une des mesures les plus contestées à gauche du Projet de Loi de réforme constitutionnelle proposée par Manuel Valls et François Hollande est la “déchéance de nationalité” pour les terroristes ayant plusieurs nationalités qu’il soit né ou pas en France.
Manuel Valls a réaffirmé sa volonté d’aller jusqu’au bout et nous a adressé une question : “Comment peut-on dire que priver de la nationalité française des terroristes condamnés serait une idée d’extrême-droite ?”.
Les personnes ayant commis “une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme” étant nées sur le sol français, ou ayant acquis la nationalité française pourront “être déchu[es] de la nationalité française”. De ce fait, les personnes possédant deux nationalités se retrouvent montrer du doigt. Même si elles ne représentent que 5% de la population, 90% d’entre elles, est issu de l’immigration. Ainsi, les personnes étant issues de l’immigration sont directement visées par ce dispositif. La rhétorique frontiste ou du PIR tend à créer deux sortes de Français : “les Français de souche” et les “Français issus de l’immigration”.
Cette différenciation s’oppose clairement au bloc de Constitutionnalité, puisque comme l’affirme l’article premier de la Déclaration de 1789 : “Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits“. Ce principe de l’égalité est aussi réaffirmé dans l’article premier de la Constitution : “Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion”, et présente dans la devise de la République à l’article 2 “La devise de la République est “Liberté, Egalité, Fraternité””. Je rejoint l’avis de Robert Badinter et de Guy Carcassonne (Pourtant centriste, voir conservateur) à ce sujet.
Comme le rappelle le premier ministre, il s’agit d’un acte “symbolique […] fort qui sanctionne ceux qui se sont eux-mêmes exclus de la communauté nationale”.
La nationalité repose sur deux principes concernant la naissance des enfants : le droit du sol (article 19-2, 21-7 du Code Civil) et la filiation (article 18 du Code Civil). Ensuite, différentes dispositions existent pour les adultes souhaitant acquérir la nationalité française : les effets du mariage ont aucun effet sur la nationalité (article 21-1 du Code Civil), mais il peut acquérir la nationalité française par déclaration (article 21-2 du Code Civil) devenant ainsi un binationaux, par naturalisation (article 21-19 du Code Civil), etc.
De même, la communauté nationale possède déjà des outils juridiques à ce sujet. L’article 25 du Code Civil affirme que
L’individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d’Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride :
1° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ;
Il permet aux binationaux “ayant acquis” la nationalité (par décision de l’autorité publique : la naturalisation, par mariage, par déclaration de nationalité) de pouvoir être déchu de leur nationalité selon 4 conditions dont le terrorisme : “crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme”. Toutefois, la déchéance est conditionnée à l’article 25-1 du Code Civil :
La déchéance n’est encourue que si les faits reprochés à l’intéressé et visés à l’article 25 se sont produits antérieurement à l’acquisition de la nationalité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition.
Elle ne peut être prononcée que dans le délai de dix ans à compter de la perpétration desdits faits.
Si les faits reprochés à l’intéressé sont visés au 1° de l’article 25, les délais mentionnés aux deux alinéas précédents sont portés à quinze ans.
De même, la décision du Conseil d’État n’est point rétroactive (Article 21-27 du Code Civil).
Si la déchéance de nationalité souhaitée par le Premier Ministre est calquée sur l’article 25 du Code Civil, ce dernier aurait du lancer un projet de Loi visant à le modifier. En remplaçant “a acquis” par “possède”, la déchéance aurait pu être votée, mais sûrement retoquée ou conditionnée par le Conseil Constitutionnel (sic).
La Constitution a-t-elle vocation à être modifiée à chaque attentat ou chaque tragédie qui secoue notre pays ? Je pense que ce projet de loi n’a pas sa place dans la Constitution.
La réforme constitutionnelle lorsqu’elle passe par le Congrès, nécessite “trois cinquièmes des suffrages exprimés”, d’où la nécessité pour Manuel Valls d’obtenir un accord de la droite et de l’extrême droite.
Les attentats sanglants qui ont ébranlé la capitale en mi-novembre commencent à susciter des “réactions” sans apporter des réponses claires, objectives et progressistes pour combattre le terrorisme. Tout n’est que symbole dans ce projet, puisque les conséquences seront infimes voir inexistantes pour lutter contre le terrorisme. Il s’agit de la poudre aux yeux pour draguer un certain type d’électorat.
Manuel Valls et Caroline Fourest parlent de la création de la sanction à partir de l’article 8 du décret du 27 avril 1848. Or, à cette date, il n’y avait point de Conseil Constitutionnel, il n’apparaît qu’à la Vème République. Donc, on ne peut affirmer que le décret puisse avoir été mis en évidence dans le cadre républicain. Mais plutôt dans le cadre répressif de la loi de Victor Schœlcher pour forcer les esclavagistes à appliquer la Loi. Il n’y a aucun rapport entre le terrorisme et l’esclavagisme.
Ils refusent toute comparaison avec la loi du 23 juillet 1940, puisque cette dernière aurait un lien avec la religion, l’ethnie ou la couleur de peau. La loi relative à la déchéance de la nationalité à l’égard des Français qui ont quitté la France sanctionnait tous les français sans distinctions. Les lois antisémites du gouvernement de Laval-Pétain débutèrent à travers la Loi du 16 août 1940 “obligation de la nationalité française pour l’exercice des professions de médecin, chirurgien-dentiste ou pharmacien en France”.
Dans la presse bourgeoise, l’opposition de gauche à ce projet suicidaire est marginalisée.
Pourtant, la boite de Pandor ouverte, les ardents défenseurs de la déchéance de nationalité sont présents au virage avec la volonté de l’étendre :
Il serait peut-être temps d’assumer que ce sont des Français qui ont commis les attentats, des personnes vivant en France.
Cette mesure idéologique déstabilisera la France, la divisera, mais ne permettra en aucun cas de combattre le terrorisme.