Jeanne d’Arc et l’extrême droite : une vaste hypocrisie
Jeanne d’Arc, la pucelle d’Orléans est une icône incontestable au sein de l’extrême droite. L’Action Française, Civitas ou le Front National se prosternent régulièrement à sa mémoire. Elle est béatifiée le 18 avril 1909 et canonisée le 16 mai 1920. Elle est devenue une des quatre saintes patronnes secondaires de la France. C’est autant de raisons pour l’extrême droite de raviver sa mémoire et de ne pas la laisser tomber dans l’oubli. Elle est une icône et à la fois une martyre.
Pourtant, loin du débat actuel à propos de la présumée « théorie du genre » du Farida Belghoul, la sauveuse de Royaume Français dans la guerre de 100 ans n’était pas comme les autres. C’est bien là, que je veux en venir dans mon article. Comment les groupes d’extrême droite profondément opposés à l’égalité des sexes et aux préjugés de genre peuvent-ils se prosterner régulièrement devant une femme qui avait décidé d’être un homme ?
En 1428, elle entendit des voix célestes à l’âge de treize ans. Saint-Michel et des martyres Sainte Catherine et sainte Marguerite lui enjoignaient de libérer le royaume de France de l’occupation anglaise et de faire sacrer le dauphin futur Charles VII roi de France à Reims. À l’époque, le Royaume Français était catholique (la Réforme Calvine et Luthérienne n’avaient pas eu lieu) et le peuple français était profondément croyant. Elle est allée trouver le représentant du roi à Vaucouleurs, le capitaine Robert de Baudricourt, qui la traita de folle et il l’a alors renvoyée chez elle. Le 12 février 1429, elle fait une nouvelle tentative auprès de Baudricourt. Sous la pression de partisans de Jeanne, après une séance d’exorcisme d’où elle sort victorieuse, Baudricourt cède. Il lui accorde une escorte armée.
Cette disposition est tout à fait nouvelle, l’armée est réservée aux hommes et non aux femmes. Elle casse ainsi, un stéréotype de genre qui reste aujourd’hui très cher à cette frange conservatrice de la société française.
Cette femme a brisé les chaînes que tenait l’armée française afin de la guider vers la victoire. Elle a donc choisi son genre (ne pouvant choisir son sexe), n’en déplaise à ses fidèles et adorateurs.
Lors du procès en inquisition à Rouen, Jeanne ne veut ni renoncer à ses vêtements d’homme, ni réfuter ses visions. Ces « étrangetés » vont servir à asseoir l’accusation d’hérésie et de sorcellerie constamment dans l’esprit des théologiens. Ensuite, lorsqu’on lui a apporté des vêtements de femme lors de son procès, elle a refusé de les prendre et de les mettre. C’est un acte totalement prémédité et conscient, elle a 19 ans au moment de son jugement. Les préjugés de genre sont alors considérés aux stades les plus hauts. Enfin, les 27 et 28 mars 1341, les actes d’accusation sont lus par Maître Thomas de Courcelles qui requiert que « ladite Jeanne soit déclarée et prononcée sorcière et sortilège, devineresse (…) hérétique (…) schismatique (…) elle soit punie et corrigée ». Elle est condamnée au bûcher à Rouen où le Frère Ladvenu qui l’accompagna jusqu’au supplice s’est souvenu que « jusqu’à sa dernière heure, comme toujours, Jeanne affirma et maintint que ses voix étaient de Dieu… ». D’où la béatification et la canonisation par l’église de Rome au début du XXème siècle.
Toutefois, le procès pour la réhabilitation de Jeanne est déclaré « nuls non avenu, sans valeur ni effet ». Or, la grâce des faits qui lui étaient imposés montre deux choses : Jeanne avait le droit de s’habiller comme un homme, cela malgré le fait que ce soit à la fin du Moyen-âge, et que le fait de porter des vêtements d’homme ne constituait pas une hérésie.
Cet épisode montre bien la construction de toute pièce des préjugés de genre. Mais aussi le paradoxe total de ceux qui y croient. C’est toute l’hypocrisie qui entoure Jeanne d’Arc que je dénonce avec fermeté. Ils l’auraient envoyée au bûcher dix fois de suite s’il le fallait pour les faits pour lesquels elle a été condamnée. L’Action Française comme nombre de collectifs fait campagne contre le Gender, mais fera-t-elle campagne contre Jeanne ? La théorie et la pratique sont deux mondes différents y compris chez les plus conservateurs. Sauf que la doctrine royaliste de Charles Maurras tomberait dans l’oubli s’il avait conscience du vrai personnage de Jeanne d’Arc et non de la figure mystique qui est expliquée aux plus jeunes.
Pourtant dans leur concept de vie, une femme reste une femme, il est interdit de choisir son genre alors il est important qu’ils annoncent solennellement que Jeanne d’Arc est une femme qui avait décidé de vivre comme un homme. Pour rester au même niveau des Associations Catholiques de Chefs de Famille lorsqu’ils disaient que les garçons allaient devenir des “garçonnes” sur l’ouverture de la mixité dans les écoles. Jeanne d’Arc était une Femme. Oui, c’est ridicule, mais c’est bien leur argumentation. Faire la confusion entre le genre et le sexe. Cela doit être difficile à admettre pour eux de se retrouver au pied du mur de la bêtise humaine.
En 2014, les ABCD de l’égalité sortent, un scandale éclate au sein des rangs de l’UMP (qui avait le même projet dans ses tiroirs) et de l’ultra-droite.
Attention à eux, l’histoire loin du révisionnisme pourra avancer une certaine pédagogie pour contribuer à casser les sujets les plus réactionnaires. Là où ils pensent qu’une société est décadente, certains de leurs icônes le sont depuis des siècles sans que cela n’effraie personne, alors où est véritablement l’hypocrisie ?