Un TAFTA à la sauce libertarienne, s’il vous plaît !
Le TAFTA (Trans-Atlantic Free Trade Agreement) est un traité de libre échange entre l’Union Européenne, les États-Unis d’Amérique et le Canada. Les négociations du TAFTA se font en parallèle du TPP (Trans-Pacific Partnership). Ces manœuvres politiciennes s’inscrivent dans la nécessité de créer une vaste zone de libre échange au sein de la zone économique nord. Ils prennent en compte la logique économique de l’austérité perpétuelle afin de dépasser le cap du néolibéralisme.
Un désir libertarien
Au XIXème siècle, Lysander Spooner, juriste étasunien de formation, s’affirme comme un anarchiste individualiste dans le même esprit que Max Stirner. Johann Caspar Schmidt de son vrai nom scandait : « À bas, les rois ! À bas, les lois ». C’est bien cette seconde partie qui influencera la position de Spooner et la naissance de l’anarcho-capitalisme. Il démontre, ainsi, la grande notion de « l’état gangster ». En effet, l’existence matérielle de l’état selon Spooner ne serait pas légal puis qu’aucun de nous n’a établi de contrat avec l’état par l’intermédiaire de la Constitution notamment. Le contrat Social de Jean-Jacques Rousseau est remis en cause. Il s’appuie sur Pierre-Joseph Proudhon : « Le contrat social doit être librement débattu, individuellement consenti, signé, manu propria, par tous ceux qui y participent »[1] pour remettre en cause le contrat social issus de l’époque des Lumières. L’existence d’un contrat implicite ne suffit plus à caractériser l’existence d’un état. L’idéal Libertarien suit « les principes généraux du droit et de la raison ». La nouvel existence de l’état se fait de manière libre entre les individus par l’intermédiaire de contrat afin qu’ils soient clairement identifiables. L’impôt est alors considéré comme une forme de « racket fiscal ».
Actuellement, ce théoricien sulfureux est largement repris dans les sphères les plus radicales de la mouvance libérale. Il est populaire dans les franges les plus réactionnaires de la société. La similitude avec l’inventeur de la sémantique du terme « bankster » est proche.
Cette doctrine ne satisfait, toutefois, pas la population comme en témoignent les résultats des élections présidentielles étasuniennes. 1 % des électeurs ont voté pour le parti Libertarien. En France, son idéologie est diffusée par quelques blogs et quelques chaînes vidéos. Pour faire un raccourci, le libertarianisme n’existe pas en France.
L’imposition d’une telle idéologie par une minorité ne correspond pas au modèle social français et cela correspond à un véritable coup de force de la part des technocrates et des financiers pour ne pas parler d’un coup d’état. Or, cette façon d’agir est en contradiction avec l’idéal même du traité. Un traité libertarien entre états est stricto sensu impossible, chaque citoyen doit pouvoir être libre de choisir, ce qui n’est pas le cas à travers le traité transatlantique. Cette forme dérivée du libertarianisme reste une étape importante dans le processus de développement de la société libertarienne (idéal du capitalisme). En effet, le cap du régime de corporations est dépassé, mais les frontières (matérielles) ne sont pas encore abattues.
C’est ainsi que les tribunaux publics ou communautaires seront remplacés par des tribunaux spéciaux d’ordre privé pour juger les litiges entre les entreprises ou entre un état et une entreprise. Ces tribunaux d’arbitrages seront placés au-dessus de toutes les cours juridiques dont la Cours de Justice de l’Union Européenne. Ainsi, comme le veut la coutume, les décisions prises seront définitives, impliquant un grand danger pour les états participant à la négociation de ce traité.
Dans le même élan, l’ouverture du Capitalisme à de nouveaux marchés s’inscrit dans le développement du Capitalisme à partir des mouvements révolutionnaires (bourgeois) du XVIIème et XVIIIème siècle en Europe et sur le nouveau continent, tout comme à travers l’époque du colonialisme. La réquisition ou la privatisation des terres a conduit inexorablement à la privation du citoyen de son « moyen de production ». Il est prévu d’appliquer une ouverture complète dans les domaines de transports, de l’énergie (dont le gaz de Schiste), des semences (génétiquement modifiées et transgéniques), etc. Le tout en supprimant le contrôle de l’état et en menaçant l’état de sanction financière par les tribunaux d’arbitrage. Les entreprises pourront faire des réclamation en cas de refus.
Le principe libertarien implique ainsi la destruction de la souveraineté nationale et populaire. Ces dernières étant une limite matérielle au développement du libéralisme, il est prévu par les négociateurs de la déléguer à un organe supra-communautaire placé au dessus de l’Union Européenne. Une commission mixte entre l’UE et les autres états partenaires du traités, sera mise en place.
La « lex mercatum » se transformera ainsi en « le marché est la loi ». Cette transformation radicale de la conception de l’économie de marché implique également une flexibilité par marche forcée. Le tout au nom de la baisse du « coût du travail » pour rendre homogènes les mesures législatives au sein des états. Ainsi, il est essentiel pour le patronat que les ouvriers puissent avoir le moins droits possible. En allant plus loin, c’est sur la base d’un contrat écrit ou non (comme aux États-Unis d’Amérique) que le travail se fait, laissant un maximum de liberté aux entreprises. Les mesures sociales françaises (sécurité sociale, allocations, etc.) sont vouées à disparaître, ramenant le pays au milieu du XIXème siècle.
Un paradoxe économique
Le modèle européen est basé depuis une dizaine d’années sur la non-intervention de l’état dans l’économie. Le soutien aux entreprises par une intervention de l’état reste très règlementé, la somme allouée ne peut dépasser les 500 000 euros. Dans la doctrine européenne, le marché est censé s’autoréguler laissant ainsi peu de marges de manœuvre à l’état et aux collectivités territoriales. La communication de la Commission européenne du 26 novembre 2008 a fixé la « stratégie de Lisbonne » pour y mettre un cadre européen.
La doctrine néolibérale y ainsi, appliquée de manière stricte là où les États-Unis d’Amérique font tourner la machine à billets afin de contenir la crise financière. Or, ce simple facteur met en contradiction deux modèles économiques différents. D’autant que les États-Unis d’Amérique grâce à l’argent de la Réserve Fédéral modernise des secteurs entiers de leur industrie.
Encore une fois ce traité favorise une seule économie, ce qui enterre la notion même du traité, c’est un accord unilatéral entre les États-Unis d’Amérique et l’Union Européenne. Là où la puissance américaine a l’intention de faire monter sa croissance grâce à son modèle social, elle risque de faire baisser vertigineusement la croissance de l’Union Européenne. Aussi, cela favorisera le dumping social à l’encontre des états européens.
Le tafta s’éloigne un peu plus de sa mission d’origine … il est mort avant d’être mis en service.
Pierre Le Bec
[1] Proudhon, L’Idée de la Révolution au XIXe siècle. IVe étude : du principe de l’autorité